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Amalia Achard - SEULEMENT SI

Chagrin

Tel l'orage et la pluie
mon cœur pleure et gémit
et se fêle et se brise
se torture et s'engrise...
est-ce toi dans l'allée ?
c'est ce qu'il m'a semblé
est-ce toi que j'entends ?
c'était la voix du vent
comptes-tu revenir ?
hélas, non, je délire
mes pensées me martèlent
et s'écrient et t’appellent
et dans mon avant-cœur
une douleur qui m’écœure
juste une griffe acérée
et je suis lacérée
par un deuil excessif
par un manque obsessif.
Quelle vie odieuse
cette vie venimeuse
car ne plus te revoir
est un pur purgatoire
c'est en vain que j'espère
tu n'es plus qu'une chimère !
un voile ténébreux
se pose sur mes yeux
est ce nuit ou jour claire ?
qu'est ce que ça peut me faire
cette histoire est abstraite...
Viens, ma mort, je suis prête !
 

Que savons-nous ?

Que savons-nous de la larme de fond
celle sur laquelle se bâtit chaque pleur,
que savons-nous sur la source d'un sourire
et sur la souffrance qui le brise,
que savons-nous sur la geôle de l'espoir
et sur les chances de s'évader ?

Si nous apprenions que la pierre méprise la glaise
la choisirions-nous encore comme pierre d'angle ?
si nous apprenions que la terre a l'âme noire
lui confierions-nous encore nos morts ?
si nous apprenions la vérité sur nous
nous supporterions-nous encore ?


Je libère mes poèmes

Là-bas, aux bords imaginaires de l'infini
j'ai choisi d’enterrer la fragilité nuisible
de toutes mes émotions
et là-bas, vers les bords imaginaires de l'infini
j'envoie tous les poèmes libérés de moi
je ne leur dirai plus de quelle manière s'élucubrer
et qu'ils aillent sur la Lune
si la Lune les allèche
qu'ils approchent le Soleil
si son feu les inspire
qu'ils se dispersent dans l'univers
si leurs vers se détestent
plus de soumission humiliante
je garderai seul le geste de la plume
et l'errance de quelques pensées
à la recherche de l'oubli irrévocable
plus jamais mes poèmes ne seront mes esclaves
mais libres de partir tels qu'ils sont venu
de je ne sais où...
 

Psaume

Veux-tu poser pour moi ?
lui demanda-t-il et il déplia son chevalet.
À la fin, sur sa toile
reposait un psaume.
Mais où suis-je ?
Demanda-t-elle.
Là, dans la prière,
répondit-il.
Vois-tu, ton regard
a fait fondre toutes les couleurs
dans la nuit d'été
et j'ai du les remplacer
par des compromis
car trop en dehors du cadre pour t'aimer
je ne pouvais peindre
ta belle simplicité
que par des soupçons
que j'ai rimé en psaumes,
trop aveugle pour discerner ta lumière
j'ai dû la chanter en louanges,
trop brigand pour ne pas
te déposséder d'un sourire
j'ai dû faire son contour
en une prière assez longue
pour qu'elle contienne
ton trésor entier..


Comme tout le monde

Ne pourrais-tu faire comme tout le monde ?
me reprochait ma mère parfois.
Que se passerait-il si je faisais à ma tête,
que se passerait-il si je quittais le rang ?
Pourtant je cherchais à mesurer
la largeur de chaque pas
par peur de dépasser la limite du permis
par peur de me retrouver tombée
dans la disgrâce du monde
marquée au fer rouge du ridicule
et de faire honte à ma lignée.
Ce n'est même pas ta faute, mère,
d'avoir voulu me garder
enfermée dans ta prison
je suis coupable de n'avoir rien compris
mais aujourd'hui je me suis délivrée
et j'ai pris le sens opposé
qu'il m'emmène où il voudra !
Me vois-tu, mère ?
Regarde comme je vole
à ma manière !
 

Liberté


L’étoile ne connaît pas la liberté –
elle est figée dans l’infini,
l’oiseau n’est pas libre –
il ne peut pas voler au-delà du ciel,
la rivière n’est pas libre –
la mer interrompt son cours,
le rêve n’est pas libre –
le réveil l’assomme,

la liberté n’est pas libre
mais enfermée dans ce mot-même
que l’humain se régale à mâcher
pensant narguer ses propres limites.
 

Moi, l'Homme

Je me chamaille avec mes plus vilaines pensées
Pendant que le silence, dehors, étend sa paix
Quand sous les milles étoiles, divinement posée,
Pour se couvrir, la terre attrape une nuit d'été.

Je suis sans voix devant cette harmonie car qui
Serais-je pour oser croire être quelque chose ? –
Soudain je me prélasse à ce miracle exquis
D'être une part infime d'un cosmos grandiose.

Et je supplie la lune : passe avec moi la nuit
Et dis-moi, quel reflet a l'Homme dans tes yeux,
Le vois-tu tel qu'il est, hideux, l'âme noircie,
Ou tel qui se voit lui – un saint, un ange, un dieu?

Puis j'interpelle l'herbe : veux-tu que nous causions ?
Dis-moi honnêtement, de l'Homme, que penses-tu ?
Quand il pollue la terre de son amer poison
Comment restes-tu si tendre sous son pied biscornu ?

À un papillon venu se cramer l'aile à ma lampe
En le chassant d'une main, je pose une question :
Et toi, pour qui la vie fut déjà insolente,
Eus-tu le temps d’apercevoir nos abjections ?

Personne ne répond, ni se soucie d'une once
Du moindre émoi venue perturber mon esprit,
Et même l'univers s'en fiche de la réponse
Et l'Homme que je suis cherche le sommeil, contrit.
 

 

En fin de compte

Qui suis-je pour tester
toutes les douleurs
ou pour tenter le bonheur,
qui suis-je pour faire des affirmations
ou pour ne rien dire,
qui suis-je pour me faire écouter
ou ignorer,
qui suis-je pour rêver d'un monde parfait
et vouloir riposter aux affronts de l'injustice,
en fin de compte qui suis-je pour crier :
« levez-vous, sœurs et frères,
la vie ne vous veut pas à genoux ! »
 

Algèbre

Entre moi et moi –
une distance égale
à la somme du besoin de me savoir
multiplié par deux fois ma réflexion
dans les yeux des autres ;
je monte au delà de la virgule
j'enlève les décimales
et je me vois entière
de l'intérieur et de l'extérieur,
de la première cellule
et jusqu'aux trente mille milliards
que j'estime compter aujourd'hui.
Je me fractionne en segments
et je me concentre sur l'âme
avec tout le reste de mes composants.
Quand j'aurai résolu cet exercice
long et compliqué
je saurai avec exactitude
de combien je me suis rapprochée de moi.
 

Néant

L'entrée dans le néant –
une voûte céleste peinte en noir
où le vent aux gestes morbides
souffle par-dessus le tombeau
de quelques orbites écarquillées
où le silence avide avale
l'intention de tout frémissement
où la terreur réclame des sueurs froides
et où l'espoir trahi entonne
des hymnes désespérés
avant la décapitation.
Il n'est prévue aucune issue en cas d'urgence
le sinistre surveille les frontières
et la mort est obligatoire
telle la tenue décente
au Fouquet's.
 

L'antichambre du Paradis

Que je plonge
accompagnée par un poème
dans le noyau d'une pierre
où il n'existe pas d'épilogue
que je me cache dans mon propre initial
celui d'avant toute influence
où je puisse me débarrasser
de tout le réel
un lieu où, comme un rituel
les vers vêtus de blanc
se chantaient les uns les autres
non-perturbés par un
quelconque code sociétal
un lieu où je n'attendais plus rien
un oasis de paix
comme une antichambre du Paradis
qui devra s'ensuivre
ou pas
et cela n'aurait aucune importance.
 

À scène ouverte

L’aube, le lundi, le premier de l’an,
tant de nouveaux commencements
dans la même continuité –
des répétitions pour des scènes factices
d’un grand spectacle
dont seul le final
reste non surjoué.
 

Il y avait...

Il y avait la neige poudreuse en couche épaisse,
il y avait les fleurs de gel sur la fenêtre,
il y avait l'espoir que, généreuse déesse,
la saison suivante viendrait demain, peut-être...

Il y avait l'amour qui exorcisait le pire,
il y avait des gens à l'âme bourgeonnantes,
il y avait dans l'air un irréfléchi délire
drapant la vie d'ardeurs inouïes, passionnantes...

Il y avait le rouge velours des joues d'enfants
et, désarmées par les plus inoffensifs sourires,
les stalactites de glace pendant sous les auvents
se fondaient, goutte-à-goutte, soupir après soupir...

Je me souviens comme si c'était un fait divers
de cette époque où tous les rêves étaient pensables,
l'époque où même pendant le froid glaçant d'hiver
la vie vêtue de feu était plus présentable...
 

Presque vol

Je vole le ventre à terre
quand le vol n'est plus
qu'un souvenir déshydraté.
J'écris sur la piste des vols annulés
sur l’héroïsme des ailes tombées
sous le fardeau d'un déploiement
trop ample.
 

Vanité

Une lutte contre la Mort,
à la vie et à la mort
et même dans cette histoire
c'est toi qui joueras le vaincu.
Penses-tu vraiment que le final
pouvait avoir un autre dénouement ?
Où alors, tu t'accroches à la vie
par peur
qu'après toi il n'y ait plus personne
pour lui trouver des défauts
et l'injurier,
puterelle de vie !
 

Divergences

Dans cette déprime globalisée
ai-je encore droit au bonheur
sans que je sois incriminée
pour avoir cru aux rêves trompeurs ?

Dans cette haine propagée
ai-je encore le droit d'aimer
sans que notre société
m’accuse d'un coup monté ?

Dans l’égoïsme contemporain
puis-je faire de la philanthropie
sans qu'un monde cabotin
m'impute son entropie ?

Quand “politiquement correct”
exerce sur nous son oppression
peut-on, sans avoir l'air suspecte,
crier : « liberté d'expression ! » ?

Lorsque l'injuste qui fait la loi
lui-même l'enfreint par des slaloms
avons nous tous encore le droit
aux droits élémentaires de l'homme ?
 

Précaution

Je me suis piquée dans une épine de temps
et par la plaie s'écoulent, goutte-à-goutte, mes jours
il me reste juste quelques mots
de quoi entamer un vers d'adieu pour chacun
je ne voudrais omettre personne
car si au bout du vide
l'éternité oublie de creuser ma tombe
je reviendrai vivre ma mort
au creux d'un poème
que j'aurais réussi à glisser
dans ne serait-ce qu'une âme vivante.
 

Seulement si...

Si on s'écoutait parler
on aurait une chance
de s'arrêter à temps
on cesserait une fois
toutes les quelques secondes
son propre défilé de mots
si inutiles à la terre
pour faire de la place
à un chant d'oiseau
qui traverserait sans entrave
le silence.
 

Intruses

Une ignorante et une pleurnicheuse,
une infatuée et une hypocrite,
vous, étrangères qui vous servez
en mode abusif de mon nom,
sortez de moi,
sortez et laissez-moi seule,
je suis mon propre architecte
et la seule à savoir à quoi ressemble
la véritable Amalia Achard !
 

Ce que vie veut dire

J’adhère aux opinions bleues
du ciel
je règle les battements de mon cœur
aux spasmes du cosmos
et la largeur de chaque pas
à la distance d'entre deux étoiles
je dilate chaque seconde
et je la remplis de lumière
ensuite je me lance
comme sur un toboggan
sur un rayon de bonheur
et je plonge au milieu d'une vie
mathématiquement calculée
de manière à ce qu'elle ne dure
que l'espace d'une naissance
et d'une mort
un voyage que je raconterai
à l'éternité pour l'épater
car qu'est ce qu'elle en sait
sur ce que vie veut dire ?
 

Rire

Avec quel délice je me souviens
des rires !
il fut une époque où je riais de tout
et même de rien,
je riais pour être belle,
je riais pour braver,
je riais pour narguer
les larmes de tous les yeux,
je riais dans la rue
et pendant les messes,
aux enterrements et aux mariages,
je riais du dérisoire et de l'espoir,
je riais pour être folle
et j'aimais la folie,
je riais de combien j'étais vivante
et pour me moquer
de la vie et de la mort
– rien de sérieux dans ces deux-là –
le rire, oui, le rire
était la chose la plus sérieuse
à cette époque...
 

Je te garde

Ta place était dans ma blessure
car tu étais la blessure-même
que j'attisais sans cesse de mon ongle
pour que je ne guérisse pas
et que je ne reste définitivement
sans toi.
 

Il neige

L'hiver a eu l'audace
de neiger aujourd'hui
et l'éther est enduit
d'un souffle froid de glace.

Le ciel en plomb lambine
et tamise des flocons
en coton à tâtons
entonnant une comptine.

Une douce fantaisie
qui coupe net le souffle –
miracle en pantoufles
et robe de poésie.

Triade d'émotions
de douce ivresse rêvasse
et en guise de préface
la neige et les frisons.

Une fièvre sibylline
réveille l'enfant en moi
et m'envahit d'émoi
et de quiétude divine.
 

Mes oiseaux

Des oiseaux viennent picorer
aux bouts de mes doigts
toutes mes lettres imprimées
puis, rassasiés, ils s'envolent
en pépiant les poèmes
que j'avais prémédité

ainsi, tous les jour, ils frappent
de leur becs dans ma fenêtre
et dès que je l'ouvre
ils flairent comme des chiens de chasse
mes mains :
« tchip, tchip, tchirip »
demandent-ils surexcités
et pic, pic, pic, en un clin d’œil
je me vois dépouillée
de tous les vers préparés la veille.

Quand je traîne dans les bois
je les entends réciter
les poèmes picorés
aux bouts de mes doigts.

 
 

Sursa: Amalia Achard, 7 dec. 2021