« Revista ASLRQ
 
Teodor Dume - Poeme din volumul "Quand les ombres traversent la rue",
ed. Stellamaris, Brest, Franţa, 2019
 
 
Tristesses tardives
 
j’aime les femmes tristes
ce j’aime a quelque chose en commun avec
tous les gens que j’ai aimé une seule fois
tout comme on aime la première pluie
la première neige
le premier amour d’une fin de ligne
une fin
parfois interminable aux nombreux secrets et parfums
 
de toute façon cela n’a plus d’importance
jadis nous nous respirions l’un de l’autre et rêvions
une longue lignée d’enfants
mais peut-être
que ce monde
n’existait
que dans le souvenir d’un visage
à présent je respire de moi peu à peu
et suis tes traces non entamées par l’ombre
de temps en temps je regarde
à ce qu’il reste
une saison pluvieuse au grand froid
où je passerai la nuit en t'appelant
 
 
Silence, on meurt
 
personne ne veut mourir même si
les bras posés sur la poitrine
plient le silence de la douleur cachée
dans la lumière chassée par les ténèbres
tout ce qui devait être fut
ce qui se doit d’être est
au-delà de l’horizon
il pleut
la vie fondue jusqu’à l’os
s’égoutte lentement
et rétrécit l’allée
vers un Dieu avide beaucoup trop avide
pour une vie simple
aucune lumière n’est assez puissante
pour éclairer son propre intérieur
mais avant tout on meurt.
silence !
 
 
Décembre se répète
 
mon père est mort une nuit de jeudi à vendredi
l’air lourd amplifiait la peur
sous le ciel si froid et noir
s’écroulait comme une boule la lumière
exhaussant le désespoir
quelque part s’est commis une erreur
ma mère avait les yeux vitreux
et l’odeur du pain frais
elle me serrait fort contre sa poitrine
pour être ensemble juste
encore quelque temps
au-delà de toutes ces choses
même Dieu clignait des yeux avec clémence
me fais-je peut-être coupable
de ne pas avoir eu la présence d’esprit
d'allumer une bougie pour mon père
le risque est de ne plus pouvoir l’appeler
comme à l’époque où mon désir était d’être un homme
et je copiais tous ses gestes
mais avec le temps j’ai appris
que ce rituel
forme la moitié qui reste ici
maintenant j’ai peur
ma respiration embue mon regard
je hante parmi les images
quelque part au bord s’écrase une étoile
je me souviens l’enfance
aux soirées tardives où je comptais
les étoiles filantes et mon cœur battait
telle une aile de papillon
je l’ignore si tout est vrai ou faux
mais je sais qu’au-delà de cet instant
m’attend mon père
nous sommes en décembre
j’ai des chevilles en verre
la réalité me mord de moi
je souffre sans rien dire
je ne parle même pas de mon père
nous sommes en décembre
immanquablement les saisons se répètent
 
 
Quand les ombres traversent la rue
 
à chaque coin de rue
il y a des ombres
aux yeux fermés
elles traversent la rue
c’est la même foule
qu’hier
j’ai le sentiment de transiter
d’un passé à l’autre
je refais le chemin
dans ma tête
je rentre dans l’histoire des gestes
qu’avait fait
mon père
non
aujourd’hui je ne traverserai pas…
 
 
Le complice de l’ombre
 
quand ton tour arrive
tu marches sur les ténèbres comme dans l’herbe
fauchée trop tôt
le printemps
une autre réalité respire de toi
comme si
en traversant la rue
tu sentais les ombres d’une autre saison
tu ne te dandines pas mais soudain
tu te souviens de toi
dans cet écart entre la nuit et le jour
il n’est que toi
et l’ombre qui te sépare des choses
quelqu’un entre par effraction
ce n’est pas grave
dis-tu
ce n’est que le complice de l’ombre
que j’attendais...
 
 
Traces de papillons
 
au-delà de tout silence
il fait noir et aucun ciel
les ombres s’endorment d’une certaine manière
comme si
les touchers n’existaient pas
blotti dans la première saison
après ma naissance
je défais mes solitudes en longues mèches
dans mes mains vides
il restent seulement
des traces de papillons
 
 
Face à face à moi
 
je me tiens aujourd’hui face à face à moi
pour comprendre
à quel point je suis vrai
à quel point mensonge
à quel point moi-même
ce qui veut dire
que j’appartiens au monde
de choses qui respirent encore
aujourd’hui j’apprendrai
combien donner à la vie
combien à la mort
et combien garder pour Dieu
puis
j’ai encore à faire
un seul aller
un seul
je laisserai la porte entrouverte
que tous les égarés de la terre entrent
et quand la mort
viendra me chercher à la maison
je serai loin
loin…
 
 
Dieu, rêve ou réalité
 
il me regardait dans les yeux
et comptait les battements de mon cœur
comme si j’en avais perdu quelques-uns
le sens du geste
faisait partie
d’un scénario caché aux yeux
son regard muet me transperçait
d’une pensée à l’autre
sillonnant le désert à l’intérieur de moi
je croyais avoir à mourir
c’était la première fois
que je me voyais
courir à travers l’enfance
sur le chemin vers ce que je fus
je voyais mon père poser
les tuiles sur le toit
ma mère étendre le linge
mon petit frère voler les bonbons
cachés sous l’oreiller
Dieu
perché sur un nuage
me parlant du regard
je tenais mon cœur dans la main
et je souriais
 
c’était moi je suis certain
je discutais avec moi
mon père ma mère
mon petit frère
et Dieu
c’est bien moi
elle me manque cette époque
et moi
et les miens
et vous
et Dieu me manque
triste
je guette le souvenir
pendant ce temps
j’épelle l’amour
et l’incapacité d’être à nouveau
ce que j’étais…

traduceri de Amalia Achard

Sursa: Amalia Achard, 2019