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Poeme de Ionuț Caragea din volumul "J’habite la maison aux fenêtres fermées", ed. Stellamaris, Brest, Franța, 2019
 
 
Certificat de renaissance

j’ignore ce qu’on trouve au-delà
ainsi que derrière le ciel
je regarde la lune
ce mystérieux miroir
dans lequel l’humanité
cherche son visage imperceptible
cette île de lumière
entourée d’un océan de nuit
cette fleur dont les pétales
furent arrachés
par certains dieux en délire
cette pièce qui refuse
de tomber dans le creux de nos mains
quand nous prions les yeux fermés
au croisement de nos rêves cinglés
ce fruit défendu
portant toujours la morsure
qui nous bannit du Paradis
oui, je vous le dis
j’ignore ce qu’on trouve au-delà
mais je peux imaginer
une éternité où il fait bon vivre
une éternité où naîtront les mots
pour me tenir compagnie
d’ici là
j’exhume mes vieux souvenirs
et les croque tel un chien affamé
tout en espérant ne pas m’étouffer
de ma propre enfance
et me retrouver sans ombre
car l’ombre
est la seule qui valida
mon certificat de renaissance
quand plus personne ne croyait en moi
quand le temps cheminait tel un ver
dans mon coeur mûri d’amour
quand mon esprit se mettait au carré
pour me convertir en poème


Le trousseau

je traîne après moi une ombre
un trousseau débordant de pensées
venues du monde où je vivais
avant que je m’incarne
le vol m’est impossible
car le trousseau pèse lourd
tout ce que je peux faire c’est enlever
une par une les pensées
qui deviennent mots
ainsi j’arrive à avancer
un pas, un petit pas à la fois
je m’efforce encore et encore
pour enlever toutes mes pensées
que je sois léger tel un oiseau
toutefois le trousseau reste pesant
et je crie d’impuissance:
n’était-ce assez d’être Sisyphe
poussant son coeur
en haut de la colline ?
pourquoi faut-il encore traîner
ce trousseau débordant de pensées ?
dans sa langue
l’oiseau me répond :
comme j’aimerais moi aussi
être un ange !
mais quand mes ailes
me portent trop haut
hélas, je perds mes plumes
mes yeux se font de glace
et je perds mon souffle
pendant que toi au moins
tu peux écrire de mes plumes
toi au moins tu peux voir
au-delà des nuages…


Armées silencieuses

mon ombre m’espionne à chaque pas
pour rendre son rapport à la Mort
mais moi je fais semblant
d’être calme et obéissant
je regarde les croix qui ne sont autres
qu’emplâtres sur la face de la Terre
et je dis : ça me va, Madame la Mort,
ça me va !
le Temps avale avide
les battements de mon coeur
il me laisse comme pourboire
quelques souvenirs
juste quelques petits souvenirs
et je dis : ça me va, Monsieur le Temps,
ça me va !
heureux et triste à la fois
car je suis encore
une dispersion de la lumière
dans une goutte de sang
je fais ma prière
et je dis : ça me va, Madame la Vie,
ça me va !
je fais semblant
d’être calme et obéissant
mais le soir
ayant l’air d’un rêveur
j’écris
et les mots s’alignent
comme des armées silencieuses
sur la feuille de papier
combattant la fatalité


Statue de marbre

mon existence
une symbiose
entre deux mondes
et le temps un serpent
qui part vers l’inconnu
abandonnant sa chemise
dans ma tête
mes mots dessinent
l’architecture parfaite
d’une renaissance
mais moi, têtu comme un âne
je déchire la feuille de papier
en attendant
l’apocalypse de l’amour
les mots mordent encore
dans ma chair
de leurs dents acérées
mais moi, comme
une statue de marbre
j’attends qu’une hirondelle
vienne cueillir mes larmes


Un tas de métaphores

même si le sens de la vie
n’est qu’un souvenir pendu
à la ficelle d’une forte illusion
ou une pluie qui tombe sans clémence
sur les ombres nichées
dans la poitrine de l’herbe
même si la guerre des esprits étroits
frappe à la porte de mon coeur
et je suis obligé de plier mes ailes
au lieu de survoler les vastes étendues
de terres et de mers
même si l’obscurité piétine de ses sabots
la fondation des rêves
et seule la joie de la mer
reste la pluie d’étoiles filantes
même si la lune est une larme glacée
sur la face de la nuit
et si les pics des montagnes enneigées
ne peuvent pas tremper leurs pointes
dans l’encre du ciel
pour réécrire l’histoire du monde
même si je suis qui je suis
un être ordinaire dans la foule
je ris toujours face à la mort
en lui offrant un tas de métaphores


Le monument du silence

je lis des silences
pour écrire des mots
je lis des mots
pour approfondir les silences
pour le reste,
beaucoup de bruit existentiel
que le coeur cherche
à transposer en musique
et des myriades de larmes
que je partage avec les gens
au pique-nique de nos âmes
dans l’allée des questions
sans réponse
je lis des silences
sur le visage des étoiles
sur les lèvres des ombres
dans les yeux pétrifiés des croix
et dans les mains
qui me caressent en rêve
je lis des silences
pour m’emmurer en silence
être le monument érigé
en l’honneur de celui qui règne
sur les dimensions
des silences absolus
je lis des silences
j’agonise et meurs en leurs seins
pour renaître en silence
et prier ceux
qui m’ont souri
dans les icônes de la solitude
je lis des silences
pour écrire des mots
je lis des mots
pour approfondir les silences


Oeuvre inachevée

si je pouvais choisir
ne serait-ce qu’un seul
de tous les rêves
que j’ai fait jusqu’ici
j’opterais pour la vie…
…cette chanson à laquelle
j’ajouterais les battements
de mon coeur
…cette statue de sel
sculptée par mes pleurs
déshydratés
…cette poésie où mes vers
comblent le vide laissé
par le départ des êtres chers
…cette peinture à laquelle
j’ajoute une tache de sang
et laisse comme héritage
ma signature en croix


La roulette rousse

quand l’amour te frappe
tel un boomerang sur la tête
avant que tu espères prendre
l’oiseau au vol
quand l’amour est un carrefour
à sens giratoire et tu tournes
autour du même coeur
perdant toutes tes larmes
quand l’amour est une guillotine ailée
et toi, l’oisillon quittant le nid du coeur
pour s’écraser sur la roche noire du néant
quand l’amour est l’illusion
d’une fleur à laquelle tu as arraché
tous les pétales avec tes pensées négatives
alors qu’en fait elle ne s’était
même pas épanouie
quand l’amour est une série infinie de questions
et toi, un acteur de cirque qui exerce
l’équilibre de la vie
sur le fil d’un rêve impossible
quand l’amour est un feu couvant sous la cendre
où tu jettes de temps à autre un espoir
telle une bûche pourrie
quand l’amour est une fata morgana
dans un désert charnel
et toi, un errant qui navigue tel Achab
sur l’océan sans rivage
pour enfoncer ton harpon
profondément dans le coeur de la
blanche vérité
quand l’amour est une situation sans issue
du coma profond appelé vie
quand l’amour est un poème sans fin
qui attend telle une balle chargée
de parfum d’immortelles
que tu joues la roulette rousse
dans la maison aux fenêtres fermées


Poème dans l’antichambre obscure

certains poèmes
resteront des foetus
dans l’antichambre obscure
sans recevoir leur baptême sur la page en pleurs
sans nous regarder tout droit
dans les yeux
un poème non-né
est un murmure qui reste sans voix
dans une forêt de pensées
une étincelle éteinte
dans l’infini de l’obscurité
c’est un rêve ayant perdu ses ailes
avant même qu’il apprenne
le vol de l’accomplissement
où sombrent-ils, ces poèmes non-nés ?
quelle est leur demeure, le ciel ou la terre ?
reviendront-ils nous plonger dans la joie ?
j’attrape de ma main fébrile le stylo
et je reste aux aguets d’un murmure
d’une étincelle
d’un rêve aux yeux ouverts
le rebelle reste impassible
à l’appel de mon désir
j’ouvre un livre
je lis d’autres vers
quand soudain
tel un enfant jaloux
le poème à naître se révèle
dans toute sa splendeur
en me suppliant :
je suis à toi
écris-moi
ne réfléchis pas longuement !
parent compréhensif
je cède à sa prière
et mon poème non-né
devient le nouveau-né –
poème charmant tant de lecteurs !

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Poeme de Ionuț Caragea din volumul "J’habite la maison aux fenêtres fermées", ed. Stellamaris, Brest, Franța, 2019 (https://editionsstellamaris.blogspot.com/2019/09/jhabite-la-maison-aux-fenetres-fermees.html). Volumul a fost distins cu premiul pentru poezie MOMPEZAT 2019, oferit de Societatea Poeţilor Francezi (Société des Poètes Français), cea mai veche și cea mai prestigioasă societate de poezie din Franța.


 

Sursa: Ionuţ Caragea, ianuarie 2020