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Constantin Frosin, « Au fil de mes idées. Autrement sur la
traduction », Bucarest, Éditions eLiteratura, 2014, 436 pages.
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Constantin Frosin suit « le fil de [ses] idées » et publie un livre dense
(436 pages) où il réunit (faussement) simplement des « idées ». Sous ce
mot-chapeau modeste et englobant à la fois, on retrouve des réflexions et
des méditations « autrement sur la traduction », une activité pratiquée
depuis la nuit des temps, dans toutes les langues, (in)dépendamment des
partis-pris historiques (politiques, idéologiques, socio-économiques, etc.).
L’auteur nous livre, dès le début, son idée-maîtresse : « la traduction est
une activité jubilatoire ». Il lui reste à le (dé)montrer. À la fin
du livre, nous sommes séduits par cet itinéraire érudit au pays des belles
lettres.
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Le livre est structuré dans une quarantaine d’unités / de chapitres (quoique
le terme ne soit pas approprié) qui se complètent, se répondent, se
reprennent « au fil » de leur développement, afin de nuancer les propos d’un
auteur qui tisse ses réflexions et les argumente pertinemment, voire
audacieusement. D’abord un « Avant-propos » trompeur, plein de définitions
sérieuses sur la traduction, lancées dans la littérature de spécialité par
de grands noms : Nida, Mounin, Theodora Cristea et d’autres. De même, le
dernier chapitre sur Henri Meschonnic, un hommage post-mortem du grand
traductologue, est une critique valable.
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Le lecteur s’attend donc à un traité à portée scientifique sur la
traduction et il en est dupe. Constatin Frosin joue sérieusement dans sa
tentative de défendre bec et ongles et d’illustrer le français par rapport à
l’anglais, fait et refait des étymologies de « l’angle-lais » / à travers
l’histoire, l’évolution des mentalités et des sociétés démocratiques, en
s’arrêtant sur la grande devise mensongère de la Révolution française :
« Liberté-Égalité-Fraternité » qu’il revisite avec le regard du citoyen
européen du XXe siècle.
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L’auteur passe par la suite à un survol des courants en traductologie, en
évoquant « les belles infidèles » du XVIIIe siècle, de nombreuses
dichotomies / bipolarismes qui ont fait date et ont fait théoriciens et
praticiens de la traduction se disputer: l’impossibilité de la traduction,
liberté-fidélité, cibliste-sourcier, création-créativité, l’incontournable
mythe de Babel (évoqué par la suite, page 87).
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Des pages extrêmement intéressantes sont consacrées aux universaux de la
traduction et aux choix obligatoires empathiques d’un traducteur avec
l’original, que je résumerais par « Dis-moi qui tu traduis, je te dirai qui
tu es ». L’auteur parle de tout : le bagage culturel du traducteur (le
cognitif est un pré-acquis sine qua non), la compétence, l’appétence pour
l’écriture, somme toute, tout sur la traduction comme art / métier
artistique éminemment créatif. Bon nombre d’exemples tirés d’études
ponctuelles sur la traduction mais surtout de sa riche expérience de
traducteur professionnel des auteurs roumains et français classiques et
contemporains (je cite pêle-mêle Mihai Eminescu, Ion Luca Caragiale, Urmuz,
Céline, etc.), ajoutent de la plus-value aux affirmations souvent hardies de
l’auteur. Corolaire : cet 8e art, la traduction est TOUT sauf
improvisation, affirme un auteur pour qui « être » l’emporte sur « avoir »
(philosophiquement et linguistiquement pensant, p. 146-156).
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Dans « Autrement sur les dictionnaires », Constantin Frosin rêve d’un
Dictionnaire encyclopédique de la Traduction, qu’il imagine comme la somme
des possibles variantes dans la traduction puisqu’un texte est finalement et
là, il cite Léon Robel, « l’ensemble de toutes ses traductions
significativement différentes » (page 82). Ses réflexions sur les synonymes,
à titre d’exemple, servent également de fins arguments. C’est un plaidoyer
ouvert, attachant pour les dictionnaires, en tant qu’objets matériels,
palpables, outils indispensables d’un bon traducteur toujours dans le vent à
l’époque contemporaine du virtuel et du numérique.
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L’auteur se montre original dans l’imago culturelle qu’il se forge sur le
Temple originel de la Traduction, une sorte de Babel pérenne : un Temple
tripartite, à trois côtés - le traducteurrangera ses ustensiles sur le 1er
côté ; sur le 2e, dans une salle de spectacle où le traducteur,
véritable chef d’orchestre, mariera les notes-significations ; sur le 3e,
dans la salle de lecture, le même traducteur devient le lecteur averti de sa
production d’artisan-artiste.
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Un sous-titre subtile « La Traduction – mode d’emploi » inscrit d’emblée le
chapitre « L’art de bien vivre l’acte du traduire et de bien aimer la
traduction » dans la rhétorique classique des recommandations des
professionnels pour les néophytes débutants ou dilettantes au pays de la
traduction. Ce sont des « conseils » pour éviter les dangers du manque de
compréhension, pour bien « peser » les mots, mais surtout les vécus
viscéraux d’un amoureux incurable de ce métier, qui explique comment cet
état – de grâce, certes – dans lequel on s’installe pour créer, est ressenti
comme une pulsion aiguë qui, au cas idéal et heureux, se chronicise et
devient une passion à jamais inassouvie. Un autre titre faussement
apodictique sur l’inutilité et la vanité du traducteur et de la traduction,
est un autre clin d’œil espiègle adressé aux connaisseurs. Plus loin (p. 253
et suiv.), une ébauche de guide pratique sur les difficultés inhérentes de
tout texte d’un grand auteur, polyphonique à son insu, va de pair avec le
« mode d’emploi » précédent et le « faux traité de religion… pour
traducteurs » suivant (p. 394 et suiv.) et renforce les propos énoncés
auparavant par d’autres exemples poignants.
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Le professeur des universités Constantin Frosin écrit des scénarios de
traductions qui sont de vrais travaux dirigés employables dans un cursus
académique de traduction. À lire à tout prix les trois chapitres sur la
simulation / la réécriture, qui s’avèrent tous trois très utiles pour un
didacticien dans son processus d’enseignement-apprentissage des « ficelles »
du métier, des techniques, principes et stratégies à maîtriser dans l’acte
traductif. Appliquer le questionnement total, contextualiser à tout moment
et apprendre à écrire selon le principe de plusieurs variantes cuvées
renforcent l’idée que si l’on n’a pas bien compris et tout compris, on ne
sait pas (comment) traduire. La réécriture oblige à repenser le vocabulaire,
la grammaire, le sémantisme et à chasser le non-dit. Finalement, un bon
traducteur reste fidèle au sens et aux « sans », au dit et au non-dit à la
fois.
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Le traducteur-didacticien invite à la documentation sérieuse autour du
texte, aux variantes de travail. Les peaufiner jusqu’au perfectionnement,
c’est rapprocher la traduction de l’original jusqu’à l’identification. Une
autre professionnelle compare une bonne traduction à un camembert qui coule,
mais qui tient. Pour Frosin, ni le texte original, ni le traducteur n’est
nullement un « faux con », le premier est un faucon, tandis que le second
est son dresseur.
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Acquérir le génie du français, c’est penser et sentir français. Et on arrive
ainsi à un tropisme incontournable : la philosophie de la traduction (on
s’attendait aussi à une traduction de la philosophie puisqu’on est là, mais
on réalise qu’un livre total sur la traduction qui traite de manière
exhaustive cet immense sujet, c'est une
entreprise impossible, une utopie.
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Le spécialiste en argot Constantin Frosin (traducteur de Céline entre
autres) livre de ses choix et solutions face aux situations dilemmatiques et
aux contraintes posées par ce langage particulièrement difficile et vivant.
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Tout un chapitre est dédié au questionnement épineux de l’auto-traduction
comme dépassement douloureux, éprouvé tant sur le plan linguistique et
idéologique que sur le plan psychique virant vers la « trahison » de la
langue maternelle lorsque l’on se transpose de manière plénière, lorsque
l’on vit dans la peau et les habits de l’Autre. Le poète Frosin (qui compte
une vingtaine de recueils), sait ouvrir les portes vers et dans Soi (p.
316).
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René Bonnet de Murlive, lauréat de l’Académie française consacrait un poème
à Constantin Frosin, poème dont le titre est simple et beau : « Le 8e
Art : la traduction » (p. 69-70, retrouvable aussi en 4e de
couverture) dont je cite le quatrain final pour clore mes propos :
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Aussi précisément que l’on y puisse atteindre
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Avec l’honnêteté dont il est coutumier,
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Un Constantin Frosin se révèle l’orfèvre
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Et le plus éminents des maîtres truchements.
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Difficile de faire le point sur un livre si dense, érudit par endroits. Une
invitation à une lecture agréable, à se laisser au gré du « plaisir du
texte » dont parlait Roland Barthes. Conseil final ou dernière touche du bon
« moraliste » qu’est Constantin Frosin (p. 407) :
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Devenir un traître, est chose aisée
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Pour être traducteur, il faut peiner.
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Carmen ANDREI
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Professeur des universités
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Constantin
Frosin, « Au hasard de mes lectures. Essais », Bucarest, Éditions
eLiteratura, 2014, 522 pages.
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Dans ce volume d’essais (Montaigne nous jette un clin d’œil complice), je
retrouve l’éternel ambassadeur des lettres roumaines et défenseur héroïque
des valeurs culturelles et spirituelles françaises et francophones, mais
surtout le grand passionné de la traduction qui ne cesse de contribuer
directement, par ses écrits, et indirectement, par ses études sur les
intellectuels de toujours et de partout au rayonnement de la Culture (à
titre d’exemple, lire son essai sur « La place de la culture dans les
relations internationales actuelles », p. 250-260 et « Brasseurs d’affaires
vs brassage d’identités. La culture – facteur d’équilibre entre identité
européenne et mondialisation », p. 421-434). Pour l’auteur, la francophonie
est une terre d’accueil, une « alma mater » généreuse (p. 36-41). Par
ailleurs, Giovanni DOTOLI l’appelle « Prince de la francophonie et du
français langue de partage » (p. 2).
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Tout l’intéresse et l’essayiste aborde en passant ou en détail plusieurs
problèmes d’actualité : le « mal nécessaire » qu’est l’Union Européenne (p.
67-77), la globalisation, l’histoire moderne de la Roumanie (p. 123-127), le
fil conducteur de ces questionnements étant une prise de position cohérente
sur l’identité culturelle individuelle et collective.
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Dans ces analyses, critiques, méditations, questionnements identitaires, on
découvre pour ceux qui ne le connaissent pas encore, on retrouve celui que
l’on connaît depuis belle lurette, l’homme de culture Constantin Frosin qui
choisit de témoigner de ses riches lectures, le poète d’expression française
– sensible, raffiné, subtile –, et le traducteur chevronné d’innombrables
recueils poétiques et romans. On retient son témoignage poignant sur son
choix d’écrire en français (p. 392-405).
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Constantin Frosin nous fait découvrir des auteurs roumains et
étrangers contemporains plus ou moins connus (« Présences roumaines en
Europe », p. 46-54), des intellectuels qu’il connaît personnellement et avec
qui il s’est lié selon l’expression goethéenne par des « affinités
électives ». Citons à tout hasard parmi les étrangers : le poète italien
Giovanni Dotoli (trois essais), Olivier Furon-Bazan, Laurent Fels, Guiseppe
Ungaretti, Jean-Max Tixier. On découvre des Roumains moins connus, tels
que : George Filip – « un prince des poètes », Elena Lupu, les écrivains de
Galaţi – Ion Manea et Coriolan Păunescu, un Soljenitsine avant-la-lettre,
Ion Eremia, Nicu Vintilă, etc. Les auteurs choisis sont soit de notoriété
(des classiques roumains ou étrangers), soit des méconnus au grand public ou
bel et bien dans le giron restreint des cercles et festivals poétiques, soit
des rencontres recherchées qui ont sillonné son parcours personnel.
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Un goût exquis pour l’analyse détaillée de la modernité de Socrate, de
l’hermétisme poétique d’Ion Barbu – « une musique des symboles » (p. 77), du
romantisme, parfum XIXe siècle, d’Eminescu. L’essayiste tient-il
compte de l’avertissement de Cioran fait dans « Les Syllogismes de
l’amertume » qu’il met en exergue d’un article extrêmement subtile sur
l’identité et l’altérité de ceux qui pensent et sentent en roumain, mais
choisissent d’écrire en français comme langue-terre d’exil spirituel :
« Tout commentaire d’une œuvre est mauvais et inutile, car tout ce qui n’est
pas direct, est nul. » ? Beau paradoxe que toute entreprise critique
confirme et contredit à la fois.
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Dans des pages attachantes, cet ambassadeur des lettres roumaines bâtit des
éloges à Emil Cioran (il lui consacre une dizaine d’essais où il écrit
longuement sur une écriture influencée par le choix de la langue, sur le
rapport de Cioran avec le moralisme, le sémitisme, la religion et la
philosophie – l’être et le non-être, la transfiguration et le rire, ce qui
montre avec évidence une connaissance plus qu’approfondie, voire parfaite du
sujet), Mircea Eliade, Panait Istrati, le dadaïste Tristan Tzara ainsi qu’à
d’autres ex-pates célèbres : Marthe Bibesco, Ionesco ou moins célèbres :
Adrian Erbiceanu, Alexia Armaşu, Vasile Burlui (deux essais).
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Les écrits de Constantin Frosin sont des hymnes à l’Humanité, à la Culture,
au Français, à la Paix, au Poème et son rêve de les réunir dans un seul
Livre d’Or est un desideratum admirable.
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Une phrase de Marcel Proust, « Le travail de l’écrivain est celui d’un
traducteur » s’applique parfaitement à Constantin Frosin, qui est un matheux
de l’écriture et de la traduction. De surcroît, une liberté d’expression à
toute épreuve, des grilles de lecture critique valides, ayant la teneur d’un
esprit unique, d’un véritable chevalier de l’Ordre français des Arts et des
Lettres (2000) - mais nommé deux fois Officier tant de l’Ordre des Palmes
Académiques (2004) que de l’Ordre des Arts et Lettres (2009). Un auteur
prestigieux médaillé, primé et récompensé surtout à l’étranger. (Constantin
Frosin n’a pas pignon sur rue pour autant !) Chapeau bas, Maître !
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Carmen ANDREI
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Professeur des universités